Les articles ont été sélectionnés s’ils abordent les troubles du développement, le comportement et la santé mentale à l’aide des mots clés suivants : « écran et enfant », « adolescent et smartphone », « addiction et jeux vidéo », « addiction et smartphone », « Fortnite », « Desmurget », « Ducanda ».
Des lignes éditoriales différentes
De l’analyse des articles, il ressort que, si les médias relaient les même informations, il existe néanmoins des différences dans leur traitement, tant au niveau quantitatif que qualitatif.
Huffpost
Avec 29 articles, le Huffpost est plutôt modéré sur les questions du numérique. Rarement alarmiste, il pourrait même être qualifié de « pro-écran ». S’il suit l’actualité dans le domaine, il prend toujours le soin de pondérer, dédramatiser et rationaliser.
Le Figaro
Avec 48 articles, la ligne éditoriale du Figaro est très conservatrice et ne s’étouffe pas avec l’objectivité. Propos alarmistes et paniques morales, tout est bon du moment que l’on peut dire du mal des écrans. Bien entendu, la docteure Ducanda est une référence de choix.
Le Monde
Le Monde informe beaucoup sur le numérique et les jeux vidéos, mais surtout à travers leurs aspects économiques et culturels. Avec 43 articles concernant les mots clés, il ne participe pas directement à la prolifération de paniques morales. Cependant, reconnu pour publier des tribunes, il respecte la pluralité des expressions sur le sujet.
Le Point
Avec 31 articles, Le Point est alarmiste sur le sujet et il n’y a guère que pour les tueries de masse que le journal ne penche pas en défaveur du numérique. Le journal pratique facilement le copier/coller de dépêches et le cherry picking (sélection d’articles scientifiques allant dans le sens de son opinion) parmi les publications les plus anxiogènes, renforçant ainsi le biais de confirmation.
Libération
Avec 10 articles, Libération fait office de parent pauvre sur le sujet. Ceci peut s’expliquer par le fait que Check News effectue des debunkages sur les grosses problématiques. Le journal semble aussi s’être intéressé à la question plus tardivement, à partir de janvier 2020.
Troubles du développement et addiction
161 articles sur le sujet ont été publiés depuis janvier 2018 : 37 % concernent les risques relatifs au développement de l’enfant, 30% l’addiction, 12% la parentalité, 10% les adolescents. À noter que l’addiction aux écrans chez les enfants (ce qui est une absurdité) représente 6% des articles.
Il y a peu d’articles sur les adolescents car les problèmes rencontrés par ces derniers sont répartis entre les articles sur l’addiction aux jeux vidéo et ceux sur la parentalité. La moitié des articles sur l’addiction êtant consacrée à la création du gaming disorder par l’OMS, il semble que les ados sont bien présents dans les préoccupations. Ils n’apparaissent juste pas en tant que tels. Lorsqu’ils sont évoqués directement, c’est essentiellement sur les problèmes liés à la sexualité en ligne.
Entre les titres incitatifs, les métaphores sur les substances psychoactives et les allusions à une potentielle addiction aux écrans ou aux smartphones, les articles présentant une approche critiquable ou non fondée scientifiquement représentent quelques 24% des articles sur le sujet. Les articles sur le gaming disorder sont généralement nuancés. Cependant, seule une minorité d’articles prend franchement le contre-pied, la plupart se contentant d’évoquer la controverse, sans pour autant développer des arguments contraires.
Quand il s’agit du développement de l’enfant, la perception des écrans est à 70% négative. Si l’on ajoute à cela les articles sur la parentalité qui consistent à conseiller les parents sur le bon usage des outils numériques, nous avons une perception très largement orientée sur les dangers et les risques.
Littérature scientifique
Il est également intéressant de constater que l’étude de Santé Publique France sur les troubles du langage chez l’enfant (7 articles), au demeurant très moyenne, a été plus relayée que celle du Haut Conseil de la Santé Publique (2 articles), dont le travail est beaucoup plus complet et moins alarmiste.
15% des articles sont relatifs à la littérature scientifique. Il est assez surprenant de constater que les articles sont cités sans faire de lien avec d’autres articles scientifiques. Hormis la méta-analyse du Haut Conseil de la Santé Publique, les études et enquêtes sont présentées comme indépendantes, ce qui donne une illusion de vérité, car cette façon de procéder néglige qu’une recherche ne vaut que par rapport à d’autres recherches auxquelles il est nécessaire de la comparer. De même, lorsque l’on lit les articles en question, on remarque que les conclusions des auteurs sont souvent bien plus nuancées que l’article de presse, ce qui donne un aperçu de la maîtrise de la littérature scientifique par les journalistes ou de leurs motivations à écrire sur le sujet. Cette méconnaissance de la littérature scientifique explique également la place importante accordée au Collectif surexposition aux écrans (Docteur Ducanda) ou à Michel Desmurget, dont les positions sont largement critiquables.
Représentations fluctuantes
Les articles publiés durant le premier trimestre 2020 représentent 20% des publications. Ce qui s’explique par un premier semestre à l’actualité chargée avec la publication de l’étude de Santé Publique France, l’enquête de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, et bien entendu, le confinement (7% du total des articles au 1er avril 2020). Lorsqu’on regarde les articles concernant ce dernier de plus près, il apparaît clairement que le numérique n’est plus abordé pour ses aspects négatifs, mais plutôt comme une opportunité d’élargir ses horizons ou de rester en contact, y compris grâce aux jeux vidéo. Il semble alors que le Coronavirus ait, au moins, momentanément changé les représentations sur les écrans. L’avenir nous le dira…
Éducation aux médias pour tous
Éducation aux médias et à l’information, debunkage de fake news, initiation à l’esprit critique, à la science et à la rationalité ne devraient pas être réservées aux enfants et aux adolescents. Les adultes, qu’ils soient parents ou professionnels, ont également besoin d’apprendre à se repérer dans le « marché de l’information dérégulé », comme l’appelle le sociologue Gérald Bronner. Le traitement médiatique du numérique montre clairement qu’il y a une mauvaise appréhension collective des risques. À cause de préconceptions certes, mais aussi par manque de connaissances méthodologiques et scientifiques. Aussi, il semble que la médiation numérique doit s’accompagner impérativement d’une médiation scientifique.