Cette addiction qui vient troubler le jeu vidéo
Le numérique est maintenant bien implanté dans nos vies, pourtant il fait se poser encore beaucoup de questions. Notre médiateur numérique est souvent amené à intervenir sur des questions de parentalité. Vous pouvez aussi lui poser vos questions sur Facebook, Twitter, ou via le formulaire de contact. Il vous répondra sur Bornybuzz.

Le trouble du jeu vidéo
Dans sa 11ème révision de sa classification internationale des maladies, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a décidé d’inclure un « trouble du jeu vidéo », dit gaming disorder. Elle le définit ainsi : c’est « un comportement lié à la pratique des jeux vidéo ou des jeux numériques, qui se caractérise par une perte de contrôle sur le jeu, une priorité accrue accordée au jeu, au point que celui-ci prenne le pas sur d’autres centres d’intérêt et activités quotidiennes, et par la poursuite ou la pratique croissante du jeu en dépit de répercussions dommageables ».
Pour que ce trouble soit diagnostiqué, il faut que le comportement soit d’une « sévérité suffisante pour entraîner une altération non négligeable des activités personnelles, familiales, sociales, éducatives, professionnelles ou d’autres domaines importants du fonctionnement, et en principe, se manifester clairement sur une période d’au moins 12 mois ». Il est à noter également que ce trouble ne touche qu’une « petite partie des personnes qui utilisent les jeux vidéo », de 1 à 3%, selon Mark D. Griffiths, spécialiste des addictions comportementales.
L’OMS parle d’un trouble du jeu vidéo : l’utilisation des réseaux sociaux n’est pas concernée par ce diagnostic médical.
En classant le trouble du jeu vidéo dans la section concernant les troubles provoqués par la consommation de substances et ceux liés à des comportements addictifs, l’OMS reconnaît l’existence d’une addiction aux jeux vidéo. Cette définition ne fait toutefois pas l’unanimité, notamment parce qu’elle n’inclut pas les critères de manque et de rechute.
Le tableau ci-dessous résume les critères du trouble de jeu vidéo de l’OMS, de la dépendance selon Mark D. Griffiths et ceux de la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), qui a classé son trouble du jeu vidéo sur internet comme nécessitant des recherches complémentaires.
Trouble du jeu vidéo (OMS) | Dépendance (Mark D. Griffiths) | Trouble du jeu vidéo sur internet (DSM-5) |
Perte de contrôle du jeu | Repli sur soi L’individu sacrifie sa vie au profit de cette seule activité | Préoccupation exclusive pour les jeux vidéo |
Priorité accordée au jeu vidéo | Modification de l’humeur Excitation ou relaxation | Symptôme de sevrage Irritabilité, anxiété, tristesse |
Poursuite du jeu malgré les conséquences | Tolérance Augmentation irrésistible du temps de jeu pour aboutir à une sensation équivalente | Tolérance Besoin de consacrer des périodes de temps croissantes |
Manque (pas de manque = pas de dépendance) N’existe pas pour les jeux vidéo | Tentatives infructueuses de contrôler | |
Conflit avec l’entourage ou conflit interne | Perte d’intérêt pour les loisirs et les divertissements antérieurs | |
Rechute Reprise même après plusieurs années d’abstinence N’existe pas pour les jeux vidéo | Pratique excessive bien que connaissance des problèmes psychosociaux | |
Tromperies et mensonges relatives à la quantité de jeux sur Internet | ||
Jouer pour échapper ou soulager une humeur négative | ||
Mise en danger ou perte d’une relation affective importante | ||
Problèmes significatifs et comportement présents sur douze mois | Tout comportement présentant ces six caractéristiques | Au moins cinq manifestations sur douze mois Section 3 – nécessite des recherches complémentaires |
Médiations numériques ordinaires
S’il n’appartient pas à un médiateur numérique de remettre en cause un diagnostic médical, force est de constater que « l’addiction aux écrans » est la crainte la plus souvent évoquée par les parents. Cependant, si les inquiétudes des parents sont légitimes, l’utilisation du terme addiction dans le langage courant est problématique. En effet, tout comme le mot écran, il est beaucoup trop vague : il dissimule une infinité de situations et d’activités numériques. Ainsi, si « mon enfant est accro aux écrans » est la phrase la plus prononcée par les parents, en dehors de faire peur, elle n’explique absolument rien et a même carrément tendance à paralyser la réflexion. En disant cela, c’est comme si tout était dit alors que cela n’est pas le cas.
Réguler le temps de jeu ou interdire l’activité ne réglera pas le problème à l’origine du comportement.
Les raisons pour lesquelles quelqu’un joue aux jeux vidéo, comme les raisons pour lesquelles il joue trop, sont multiples et variées et ne sauraient être résumées aux seules propriétés « addictogènes » des jeux vidéo. C’est pourtant cette représentation erronée que relaient de nombreux médias. C’est également ce que pensent beaucoup de parents et, plus inquiétant encore, de nombreux professionnels de la jeunesse ou du numérique qui, pensant faire de la prévention, ne font qu’entretenir la panique morale sur le sujet.
Selon la formule du psychiatre Claude Olievenstein, la toxicomanie est la rencontre entre un produit, une personnalité et un moment socioculturel. Ces trois éléments doivent également être pris en compte dans l’analyse des pratiques vidéoludiques. Par exemple, un enfant qui a des difficultés scolaires et qui investit les jeux vidéos parce que c’est un domaine où il réussit et/ou est reconnu par ses pairs ou, au contraire, un enfant qui présente les mêmes difficultés, sans réussir comme il le souhaiterait dans les jeux vidéo, et qui réagit négativement à l’échec (jette sa manette, insulte les autres, fait des colères quand on lui demande d’arrêter de jouer, etc.) n’a pas d’addiction au jeu vidéo. Dans ce cas, réguler le temps de jeu ou interdire l’activité ne réglera pas le problème à l’origine du comportement. De même, un adolescent qui, parce qu’il joue beaucoup n’aura pas le niveau pour faire Polytechnique et devra se contenter d’une grande école moins prestigieuse, n’a pas une addiction non plus.
Dans la discussion avec les parents, on découvrira certainement que, d’une part, ils ne savent pas que le temps de l’adolescent n’est pas consacré uniquement à jouer mais aussi à échanger avec d’autres passionnés, à planifier ses actions, à débriefer ses parties avec ses collègues de jeux, à suivre l’actualité des jeux vidéo, etc. D’autre part, on apprendra aussi que cette orientation scolaire, tout comme la projection dans un avenir professionnel, est davantage le souhait des parents que celui de l’adolescent. Autrement dit, ici, le jeu vidéo est une source de conflit et d’incessantes discussions sur le temps de jeu, qui viennent prendre la place d’autres conversations beaucoup plus importantes sur les choix de vie que doit faire l’adolescent pour devenir adulte.
Ce qu’il faut retenir
- L’OMS parle d’un trouble du jeu vidéo : l’utilisation des réseaux sociaux n’est pas concernée par ce diagnostic médical.
- Chez l’enfant, on ne parle pas d’addiction mais d’apprentissage de l’autorégulation, c’est-à-dire de la gestion du temps et des émotions.
- Il ne s’agit pas de nier l’existence d’usages excessifs mais de ne pas voir dans ces comportements l’effet exclusif du jeu vidéo.