Claire Burger et Josefa Heinsius pour le film Langue étrangère

par | Sep 11, 2024 | Rencontres et portraits

VIDÉO | Le dernier long-métrage de la scénariste et réalisatrice Claire Burger, Langue étrangère, sort dans les salles françaises le 11 septembre 2024. La cinéaste et la comédienne Josefa Heinsius reviennent sur certaines thématiques abordées par le film. L’engagement politique des jeunes français et allemands aujourd’hui. Les conflits intergénérationnels sur les questions sociétales. Et enfin, leur rapport à l’utilisation des outils numériques.

Entretien avec Claire Burger et Josefa Heinsius pour Langue étrangère

Entretien : Aurélien ZANN | Images : Fabien RENNET & Aurélien ZANN | Montage : Fabien RENNET | © Bornybuzz Média – septembre 2024

Présentation de Claire Burger et Josefa Heinsius

BORNYBUZZ : Pour celles et ceux qui ne vous connaîtraient pas, pourriez-vous vous présenter brièvement chacune ?

JOSEFA HEINSIUS : Je viens de Potsdam, à côté de Berlin et j’ai 22 ans. Je suis allemande et je fais une école de comédienne en ce moment. Je suis l’actrice du film. Et je m’appelle Josefa.

CLAIRE BURGER : Je m’appelle Claire Burger. Je suis réalisatrice de film de fiction. Je suis originaire de Forbach, donc pas très loin d’ici. Je suis réalisatrice de films qui sont à la fois des films souvent un peu sociaux, avec une dimension sociale. Des films qu’on appelle films d’auteur, mais j’essaie de les rendre quand même amusants ! J’ai fait mon troisième long métrage qui s’appelle Langue étrangère.

Josefa Heinsius et Claire Burger à l'avant-première du film "Langue étrangère" au Cinéma Klub Metz © Photo Aurélien Zann / Bornybuzz
Josefa Heinsius et Claire Burger à l’avant-première du film « Langue étrangère » au Cinéma Klub Metz © Photo Aurélien Zann / Borny Buzz

Politique étrangère française

BORNY BUZZ : Suite à la diffusion de notre série de vidéos 11″30 contre le vote raciste, nous avons été interviewés par France Bleu Lorraine Nord. Je vous retourne la question d’un journaliste radio : « Les jeunes sont-ils prêts à s’engager en politique, à adhérer à un parti ? »

CLAIRE BURGER : Je ne sais pas quel journaliste a posé cette question mais je trouve la question un peu bizarre ! Parce que d’abord il n’y a pas les jeunes. Enfin, ce que je veux dire, c’est qu’il n’y a pas une seule jeunesse mais il y a différents types de jeunes. Je crois que ce n’est pas la même chose de grandir à Paris dans une famille bourgeoise que de grandir à Borny. Et même culturellement on n’est pas tous les mêmes. Donc je ne sais pas si on peut parler d’une seule et même jeunesse. J’ai l’impression qu’il y a quand même des jeunes qui s’engagent à l’extrême droite aujourd’hui, pour un certain nombre de raisons assez tristes.

Entre autres parce que probablement le Rassemblement National a su faire de la place aux jeunes. Aussi parce que peut-être ils n’avaient pas assez de candidats de nos âges ou de nos générations. Et en faisant de la place aux jeunes, finalement, ça se retourne contre nous tous. Puisque les gens se sentent représentés par eux et peuvent avoir envie de voter. Après j’ai l’impression qu’il y a, du côté de la France insoumise, énormément de gens qui sont qui sont engagés. Je pense qu’il y a vraiment des jeunes qui sont prêts à s’engager de tous les bords. Ce qui est sûr c’est qu’il n’y a pas assez de considération pour la jeunesse dans les politiques actuelles. Il y a quand même énormément de choses qui sont assez effrayantes pour cette jeunesse.

Claire Burger, réalisatrice du film "Langue étrangère" au Cinéma Klub Metz © Photo Fabien Rennet / Bornybuzz
Claire Burger, réalisatrice du film « Langue étrangère » au Cinéma Klub Metz © Photo Fabien Rennet / Bornybuzz

Je parlais tout à l’heure [avec Alicia Hiblot, NDLR] de la catastrophe écologique, c’est quand même important. Mais il n’y a pas que ça. Si on n’arrête pas de détruire les services publics, cette jeunesse elle a de quoi s’inquiéter sur ce qui l’attend, y compris à l’hôpital et dans l’éducation. Quand on met des moyens en France aujourd’hui, on en met de moins en moins sur ce qui permet de construire l’avenir ou le futur pour cette jeunesse-là.
Donc ça je ne crois pas que ça les aide à s’engager pour un parti. Il faut savoir miser sur l’avenir pour parler aux jeunes, je pense qu’on ne leur parle pas assez. Malheureusement il y a Jordan Bardella qui a trouvé TikTok pour le faire et ça c’est terrible. Je crois aussi que cette jeunesse a besoin qu’on l’écoute. Elle a besoin qu’on lui donne de l’espoir surtout. C’est-à-dire de croire que les gens des générations d’au-dessus se préoccupent de savoir ce qu’ils vont devenir et se contentent pas de dire « on a un problème de sécurité, il faut plus de forces de l’ordre ». Est-ce que les jeunes sont prêts à s’engager pour un parti ? Je n’en sais rien, ils seront certainement prêts à suivre quelqu’un qui leur propose un avenir meilleur !

Politique étrangère allemande

BORNY BUZZ : Josefa, du côté allemand est-ce que vous engagez, peut-être toi à titre personnel et dans ton entourage ? A votre âge, est-ce que vous vous engagez politiquement dans des partis ou plutôt sur des causes ?

JOSEFA HEINSIUS : J’hésite toujours à dire ça parce qu’il y a des gens qui s’engagent beaucoup plus et sont beaucoup plus courageux que moi. Je vais dans les manifestations, je mets ma signature sous les pétitions, des petits trucs comme ça. Je me pose un peu toujours la même question que [mon personnage] Lena :  je ne me vois pas toujours à la hauteur de m’engager.

J’ai quand même beaucoup de gens dans mon entourage qui s’engagent de manières différentes, dans l’art, mais aussi dans des partis. Je connais quand même des gens qui font ça. Mais aussi pour des causes, ça se passe aussi beaucoup sur des médias sociaux.

Josefa Heinsius, comédienne du film "Langue étrangère" de Claire Burger © Photo Fabien Rennet / Bornybuzz
Josefa Heinsius, comédienne du film « Langue étrangère » de Claire Burger © Photo Fabien Rennet / Bornybuzz

Un air de famille

BORNY BUZZ : Dans le film il y a deux séquences de repas, en miroir, dans lesquels on a un affrontement entre différentes générations. Tout le monde s’invective, les gens ne se comprennent et se font des reproches. Mais est-ce qu’on pourrait pas justement tout régler autour d’un bon repas ?

CLAIRE BURGER : Je ne sais pas, mais ce qui est sûr c’est que pour moi la cellule familiale c’est la première cellule politique. Il y a souvent à l’intérieur de la famille quelqu’un qui a pris le pouvoir. Pendant des années ça pouvait être plutôt les hommes, qui étaient même désignés pour le faire, même si ce n’était pas forcément le cas dans la famille du film. C’est un endroit où dans ce qui se joue entre les gens il y a déjà une dimension politique. Et entre les générations encore plus, puisque souvent une génération peut avoir envie de modifier des choses.

Les soixante-huitards voulaient peut-être moins de morale, moins de cadre. Actuellement, on a une génération qui, pour la première fois demande plus de lois, plus de cadres. Mais je pense que c’est intéressant, au sein même d’une famille, ce qui se joue souvent. Et c’est très révélateur de ce qui se joue dans une société. Malheureusement la famille c’est aussi beaucoup le lieu de la dispute. Et j’ai l’impression que là c’est un peu comme si on était dans une situation avec ce qui se passe dans le monde, avec la catastrophe écologique, la montée des populismes etc. Puis l’ultralibéralisme qui n’a plus de freins. Il y a tellement de choses à régler, qu’en fait, ce n’est pas en se disputant qu’on peut y arriver.

La cellule familiale c’est la première cellule politique.
Claire Burger

Donc, ce serait intéressant, en effet, autour d’un repas familial d’arriver à créer une ambiance suffisamment chouette pour que les grands-parents aient envie d’aider la jeune génération. Et que la jeune génération arrête de juger, un peu bêtement parfois, les générations précédentes qui n’ont pas vécu dans le même contexte, donc ça ne sert à rien. Ce serait intéressant que tout le monde se retrousse les manches pour régler le problème ensemble. Et que les jeunes ont des idées novatrices, par essence, c’est ça la jeunesse. Que les vieux ont l’expérience. Que peut-être les jeunes ont un peu plus de courage à des endroits, un peu plus d’espoir. Que les vieux ont peut-être plus de sagesse.

Donc oui, je ne sais pas si ça peut se régler autour d’un repas, mais en tout cas ce qui est sûr c’est que pour moi il ne faut pas attendre. Je pense que la jeune génération a tort parfois de croire qu’il faut qu’elle pousse les vieux dehors pour prendre la place et pour tout régler. Parce que je ne crois pas tellement au fait qu’elle réglera mieux que ceux d’avant les choses. Et je pense que la vieille génération aurait intérêt à beaucoup plus écouter la jeune génération et à ne pas juste la regarder de haut en estimant que ses valeurs ne vont pas. Je trouve que les problèmes qu’on a aujourd’hui méritent que tout le monde s’y mette. Qu’on s’y mette ensemble et qu’on arrête de se taper dessus, que ce soit sur Internet ou dans les repas de famille.

Chiara Mastroianni et Josefa Heinsius dans le film "Langue étrangère" de Claire Burger © Les Films de Pierre
Chiara Mastroianni et Josefa Heinsius dans le film « Langue étrangère » de Claire Burger © Les Films de Pierre

Conflits générationels

BORNY BUZZ : Josepha, as-tu vécu des situations similaires ? Y-a-t-il un conflit entre la génération de tes parents et la tienne, ou de l’incompréhension ?

JOSEFA HEINSIUS : Dans ma famille ou celles de mes amis, oui très fort. Surtout en Allemagne de l’Est où les grands-parents votent à d’extrême droite, ou l’oncle. Dans ma famille c’étaient plutôt des causes féministes, mes parents aussi sont féministes, ils pensent d’une façon naturellement féministe, mais ils ne s’engagent pas. Donc il y avait un moment où je découvrais cette cause, où je me suis dit mais il faudrait que tout le monde soit en colère. Je crois qu’il y avait des petits tensions, mais qui passaient.

BORNY BUZZ : Est-ce que tu as aussi l’impression que les générations précédentes n’ont pas forcément assez travaillé ces questions ?

JOSEFA HEINSIUS : Non, ce n’est pas une pensée que j’ai. Je crois que si je pense comme ça, je me dis plutôt que là, en ce moment, que ça ne  va pas ! Je ne pense pas que vous avez mal fait ou que c’est à cause de ça qu’on est là. Mais là il faut qu’on se bouge les fesses ! Je crois qu’à cause de ce sentiment tout le monde peut-être dit « Oui, il y a des trucs qui ne vont pas, il y a des trucs qui sont graves, mais qu’est-ce qu’il faut faire ? ». Et moi aussi je suis une personne comme ça parfois. Mais je crois que c’est aussi pour ça qu’il y a plein de gens qui ont envie de se radicaliser. Ou qu’ils le font parce qu’ils ne voient pas d’autres moyens pour se secouer.

CLAIRE BURGER : Je me dis aussi qu’il y a quelque chose qui n’appartient pas aux générations. Ce qui a changé, ce qui a poussé tout à bout c’est aussi l’ultralibéralisme. En tout cas, sur la question de l’écologie c’est évident. Mais quand on se demande pourquoi les gens tout à coup votent à l’extrême droite, c’est aussi tout ce phénomène de globalisation, d’ultralibéralisme effréné qui a conduit plein de gens à la frustration, au désespoir et à l’inquiétude. Et qui fait que, soit certaines personnes se radicalisent quand elles continuent à penser à gauche, ou d’autres se radicalisent à droite parce qu’elles ont peur, parce qu’elles ont l’impression de ne pas pouvoir partager ou tirer bénéfice de de ce qui est en train de se jouer maintenant. Je ne pense pas au fond que ce soit réellement une génération qui aurait détruit une autre. Par contre, peut-être que la jeune génération peut reprocher aux soixante-huitards et aux gauchos des générations d’avant d’avoir laissé tomber leurs idéaux et de finalement s’être résignés. Et ma génération peut reprocher à celle d’avant d’avoir eu finalement des années un peu trop douces et d’avoir bien profité de tout. Mais est-ce que vraiment il y a une génération qui est responsable du mal ? Je ne suis pas très sûre. Il y a peut-être un système qui a l’air de ne plus s’arrêter, qui a l’air inarrêtable et qui chauffe tout le monde à blanc. Et c’est pour ça que j’ai l’impression qu’en fait il faut vraiment que les générations travaillent ensemble, en réalité, pour essayer de trouver des solutions à ces questions.

La révolution numérique

BORNY BUZZ : Dans le film beaucoup d’objets connectés sont des éléments dramatiques. Que vous pensez de l’utilisation des outils du numérique dans la société actuelle ?

CLAIRE BURGER : Sur ces questions, j’ai fait un court-métrage qui s’appelait C’est gratuit pour les filles* et qui parlait du harcèlement sur internet en 2010. Donc c’était une question qui se posait à l’époque. Aujourd’hui, avec du recul, j’ai évidemment l’impression que la révolution technologique, la révolution numérique a bouleversé beaucoup de choses. Mais je ne crois jamais que ce sont les outils qui sont responsables. Il y a eu plein de bouleversements technologiques et ça peut servir à sauver des vies. Le numérique ça peut servir à ce que quelqu’un qui est très seul et qui est harcelé justement dans son école puisse rencontrer des amis à l’autre bout du monde. Ça peut être un outil formidable pour des gens pauvres à avoir accès à la culture.

Claire Burger, cinéaste à l'avant-première de son film "Langue étrangère" au Cinéma Klub Metz © Photo Fabien Rennet / Bornybuzz
Claire Burger, cinéaste à l’avant-première de son film « Langue étrangère » au Cinéma Klub Metz © Photo Fabien Rennet / Borny Buzz

Donc vraiment le numérique n’est responsable de rien. C’est, comme d’habitude, ce qu’on en fait. Ce qui est juste terrible c’est que le numérique, tel qu’on le connaît aujourd’hui, est quand même aux mains de grands GAFA qui sont aussi des gens qui sont vraiment dans cet ultralibéralisme effréné dont je parlais.

Malgré tout, on ne peut pas le nier : l’extrême droite a su peut-être saisir plutôt aussi les avantages qu’elle pouvait tirer de ces outils là et de la communication. Donc évidemment que ça a changé la société que ça change les gens. Qu’être derrière un écran, un peu seul·e dans sa chambre, ce n’est pas la même chose que de sortir, d’être dehors, d’aller au cinéma, de rencontrer les autres. Donc ça pose des questions et ça pose des problèmes. Mais, encore une fois, je pense qu’en fait il y a dans le numérique aussi des formidables opportunités pour sauver des vies, pour créer du lien. Donc je ne suis pas sûre que ce soit ça qui soit le mal.

* co-réalisé avec Marie Amachoukeli

Techno allemande

BORNY BUZZ : Et toi, Josefa, que penses-tu de l’utilisation du numérique aujourd’hui ?

JOSEFA HEINSIUS : Mes parents m’ont plutôt dit que ce n’est pas une bonne chose. Mais pour moi c’est impensable, je n’arrive pas à imaginer un monde sans ça ! Alors je crois que c’est totalement OK ou même bien et intéressant. Mais par contre les médias sociaux ont aussi plein d’avantages. Mais moi, assez vite, je ne me suis pas sentie très à l’aise de me présenter là-dessus ou de d’être comparée tout le temps avec les autres sur un truc un peu artificiel. Mais aussi par exemple TikTok je ne l’ai pas et je ne sais pas l’utiliser. Mais comme le Front national mais aussi l’AfD en Allemagne l’utilisent à fond et que ça marche, avec les algorithmes et tout. Je crois qu’il y a peu de gens qui qui arrivent à comprendre comment ça fonctionne et à comprendre que tout ce qu’on voit sur internet ce n’est pas le monde. Ce n’est pas le monde et ce n’est pas ce qu’il faut croire toujours. Je crois qu’il y a des côtés dangereux.

BORNY BUZZ : En tout cas, ça a des avantages aussi, parce que si tu es là aujourd’hui c’est grâce à Instagram où tu as postulé pour le rôle ?

JOSEFA HEINSIUS : Oui c’est une amie qui a vu l’annonce de casting sur Instagram et qui me l’a transférée !

Lilith Grasmug et Josefa Heinsius dans "Langue étrangère", un film réalisé par Claire Burger © Les Films de Pierre
Lilith Grasmug et Josefa Heinsius dans « Langue étrangère », un film réalisé par Claire Burger © Les Films de Pierre

Remerciements : Dimitri Fayette (Klub Cinéma Metz) et Alicia Hiblot (Moselle TV)

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