Jeux vidéo : ne campez plus sur vos positions

par | Juil 1, 2021 | Acticle numérique

De plus en plus de personnes jouent aux jeux vidéo alors que ceux-ci ont toujours mauvaise réputation. Pour essayer de comprendre les représentations du grand-public sur ce média, nous avons recueillis les avis de personnes lors de micros-trottoirs et avons ensuite présenté les propos recueillis à des spécialistes des jeux vidéo. Cela a donné lieu à 3 rencontres en visioconférence.

Vidéo #1 Les aspects culturels

Les invités

Sébastien Genvo est professeur des universités rattaché au Centre de recherche sur les médiations de l’université de Lorraine. Il a aussi été Game designer chez Ubisoft (2001 – 2002), et a soutenu la première thèse (2006) puis la première habilitation à diriger des recherches (2013) en France sur les jeux vidéo. Il a publié, entre autres, l’ouvrage ; “Le jeu à son ère numérique. Comprendre et analyser les jeux vidéo” (2009) chez L’Harmattan, analyse qu’il met en pratique sur sa chaîne Youtube.

Yann Leroux est docteur en psychologie, psychologue clinicien et psychanalyste. Il est aussi gamer et blogueur spécialiste des jeux vidéo, des forums internet, du monde numérique. Sur son blog, Psy et Geek, il analyse la société à travers le prisme de ses nouvelles technologies de l’information, du jeu, et de réseaux sociaux. Il a publié de nombreux articles et ouvrages, dont “Les jeux vidéo ça rend pas idiot” (2012) chez Fyp éditions et “Le jeu vidéo pour soigner ? (2021) aux éditions Eres avec Guillaume Gillet.

L’essentiel

Le jeu vidéo est une activité qui va avec un ensemble de représentations qui ont été créées culturellement avec le temps. Une représentation classique est que le jeu est un échappatoire au réel que l’on retrouve aussi avec des activités assez proches comme la fiction ou la littérature au XIXème siècle.

L’industrie du jeu vidéo est née dans un contexte de globalisation, ce qui tend à conforter certaines thématiques pour des raisons de rentabilité et diffusion sur tous les continents. De fait, les thématiques comme la guerre ou la science-fiction sont historiquement sur-représentées. Le grand public a encore du mal à identifier la diversité des contenus, notamment ceux des éditeurs indépendants.

Il faut distinguer les contenus et les effets des médias. Ce n’est pas parce que les jeux vidéo sont orientés vers la violence et la masculinité que l’effet des médias va être identique. Le jeu vidéo étant un jeu, il y a chez le joueur une forme de créativité et de réappropriation.

Avec le jeu vidéo on peut développer des compétences à l’intérieur du jeu. On ne sait pas si ces compétences développées vont être utiles à l’extérieur du jeu. Par contre on sait que cela va participer au bien être et à la régulation émotionnelle.

Si avec la crise de la Covid l’industrie du jeu vidéo a explosé d’un point de vue économique, c’est parce que le jeu vidéo est un vecteur de contact et de sociabilité. Ce ne sont pas les mêmes formes de sociabilité qu’en face à face. Le fait d’être derrière un écran et un avatar influent sur la manière de communiquer. Contrairement à la vie de tous les jours dans les jeux vidéo, par exemple, on peut aussi facilement créer des liens que les défaire.

Avec l’addiction aux jeux vidéo on confond des mécanismes utilisés pour faire face à une situation difficile avec une pathologie. Ces mécanismes sont potentiellement aidants parce qu’ils vont permettre de passer le cap, mais aussi potentiellement problématiques parce que le temps passé à jouer n’est pas consacré à résoudre le problème. Pour les soignants et l’entourage, le risque est alors de chercher à réduire le temps de jeu plutôt que de réduire les problèmes de la personne.

Vidéo #2 Les mécanismes des jeux vidéo.

Les invités

Bruno Rocher, psychiatre addictologue au CHU de Nantes. Il est médecin responsable de l’espace Barbara, un centre de soin ambulatoire en addictologie, notamment pour les troubles du comportement alimentaire et le trouble du jeu vidéo. Il est co-auteur avec Lucie Gailledrat du livre “Mon enfant est-il accro aux jeux vidéo ?” (2020) aux éditions JLE.

Séverine Erhel, Maîtresse de conférence en psychologie cognitive et ergonomie à l’université de Rennes 2. Ses recherches concernent les questions du traitement de l’information, l’apprentissage et la motivation dans les documents multimédias, les serious game et les jeux vidéo.

Celia Hodent est docteure en psychologie cognitive et consultante UX. Elle a travaillé sur l’amélioration de l’expérience utilisateur de jeux comme Tom’s Clancy, Assassin’s Creed ou Fortnite. Elle est l’auteure du livre “Dans le cerveau du Gamer” (2020) chez Dunod. Elle tient également un blog en anglais et milite pour la création d’une charte éthique pour les développeurs de jeux vidéo.

L’essentiel

Quand le jeu vidéo est utilisé de manière raisonnée, le joueur ne court aucun risque. Au contraire, cela permet de développer des compétences émotionnelles et affectives. Comme toutes les activités ludiques, les jeux vidéo permettent le développement social et cognitif des enfants et des adultes. Il faut cependant veiller à conserver des activités variées ; jouer au foot, jouer aux jeux vidéo et jeux de société, etc.

Les jeux vidéo, parce qu’ils sont conçus pour être engageants, peuvent procurer plus de satisfaction que la vie quotidienne. Ils peuvent alors servir de refuge pour échapper aux problèmes. On peut parler d’usage excessif, lorsqu’il y a une dérégulation des activités, c’est-à-dire lorsqu’un comportement occupe trop de place dans la vie d’un individu (de 8 à 10 heures par jour tous les jours !). Il est alors nécessaire de consulter un spécialiste.

Selon leur modèle économique, les jeux vidéo mettent plus ou moins de pression sur le joueur. Les techniques marketing qui incitent à payer et à s’engager davantage ne sont pas éthiques. Il faut prendre ces paramètres en considération lorsqu’on laisse un enfant ou un adolescent jouer à un jeu vidéo.

Ces mécanismes ne sont pas connus du public. Il y a un besoin de médiation et d’éducation aux médias, tant sur les aspects problématiques que sur la dimension ludique. En effet, on parle trop souvent des points négatifs des jeux vidéo et rarement de leur dimension artistique et culturelle. On oublie trop facilement qu’il s’agit d’une forme d’art interactif fait par des gens passionnés.

Vidéo #3 Education aux médias et prévention

Les invités

Vanessa Lalo est psychologue clinicienne spécialiste des pratiques numériques. Elle intervient en formation et en analyse des pratiques dans le réseau des promeneurs du net, ce qui fait d’elle un témoin privilégié des pratiques éducative et de l’éducation aux médias. Vous pouvez suivre son actualité sur son blog.

Jean-Pierre Couteron est psychologue clinicien. Il exerce au Centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie et à la Consultation Jeunes Consommateurs du Trait d’Union de l’association Oppelia à Boulogne-Billancourt. Intéressé par le public adolescent et la prévention, il a participé à la rédaction de l’ouvrage, notamment un chapitre de l’Aide mémoire de la réduction des risques en addictologie (2012) qui traite du jeu d’argent, chez Dunod.

L’essentiel

-Les jeux vidéo sont critiqués au même titre que d’autres médias émergents à leur époque (les mangas, le rock’n roll ou les livres, etc.). Il faut considérer la concurrence entre les médias et les types de médias. Ainsi dans les années 1980, la mauvaise image des jeux vidéo a été véhiculée par la presse et la télévision qui voyaient un concurrent en termes de parts de marché.

Les jeux vidéo, comme toutes les activités qui procurent du plaisir, peuvent être vu comme quelque chose d’agréable ou comme quelque chose susceptible de créer des risques. Cependant, s’ils peuvent apporter des problèmes, comparativement à d’autres substances (héroïne, cocaïne, cannabis, alcool, tabac), il n’y a pas de risques majeurs pour la santé.

On considère souvent le temps passé comme critère d’usage excessif, ce n’est pas le bon indicateur. Il est alors préférable de considérer la perte de contrôle. Cependant, il ne faut pas négliger que cette perte de contrôle est un symptôme, le signe de quelque chose qui ne va pas. Il peut s’agir d’une psychopathologie comme un état anxieux ou dépressif, ou de difficultés devant lesquelles l’individu n’est pas en mesure de faire face.

Avec l’approche par les risques, on apprend à se méfier des jeux vidéo et du numérique plutôt qu’à faire avec eux, favorisant ainsi la prévention au détriment de l’éducation. C’est d’autant plus préjudiciable que l’approche courante en prévention consiste à faire peur. Il serait préférable de se baser sur une prévention positive qui valoriserait les bonnes pratiques.

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