Dans le cadre du plan France relance, le gouvernement va réaliser un investissement inédit pour le numérique, avec notamment le déploiement de 4000 conseillers numériques, dont la mission sera de former et d’accompagner aux droits. Cette nouvelle mesure est l’occasion pour notre média de proximité de s’intéresser à la médiation numérique, d’autant plus qu’avec son nouvel espace Bornybuzz numérique, l’association est impliquée dans la lutte contre la fracture numérique. Pour comprendre ce nouveau défi à relever nous avons réalisé une série d’entretiens de médiateurs numériques chevronnés pour comprendre les bonnes pratiques et les pièges à éviter.
La médiation numérique selon Loic Gervais
Loic Gervais, médiateur numérique depuis 2005 et animateur du blog médiateur numérique. Et qui n’a pas la langue dans sa poche…
La médiation numérique, c’est permettre de comprendre comment le numérique influe sur le quotidien, de comprendre comment l’utiliser pour augmenter son pouvoir d’agir en tant que citoyen et comprendre les enjeux de société liés au numérique.
Dans ce contexte, le médiateur numérique est un professionnel qui enfile plusieurs costumes selon qu’il aide, par exemple, à paramétrer un logiciel antivirus, à acheter un billet de train en ligne, aide à mettre en page son CV, qu’il conseille une mère de famille dans l’achat d’un jeu vidéo ou, plus théorique, explique ce qu’est l’open data au public, etc. Mais avec toujours l’idée que ce n’est pas grave si l’on ne sait pas faire, puisqu’on va apprendre ensemble.
L’importance d’une stratégie de médiation numérique
Une stratégie de médiation numérique passe par la collaboration entre les collectivités et les acteurs. Ainsi sur un territoire, il est indispensable de définir les objectifs, les indicateurs, les ressources et une méthodologie. Autrement dit, la médiation numérique doit être pensée comme un projet politique basé sur un diagnostic de territoire.
Si les conseillers numériques seront en mesure d’accompagner les habitants dans leurs usages quotidiens, ils ne permettront pas de répondre à la question de fond, c’est-à-dire : comment faire société avec le numérique ?
Un autre point problématique est qu’il sera difficile de pérenniser les postes de médiateurs numériques existants. Ce qui fait dire à Loic, non sans ironie : “Je ne sais pas si 450 millions d’euros pour se planter est quelque chose de positif”.
La médiation numérique selon Nicolas Vauzelle et Bertrand Mercadé
Nicolas Vauzelle et Bertrand Mercadé, respectivement président et directeur de l’Espace Numérique Charente Sud.
La médiation numérique c’est accompagner les publics, des plus jeunes aux plus âgés, dans la maîtrise des usages du numérique pour les amener à l’autonomie et à devenir des citoyens éclairés et émancipés face aux changements et enjeux sociétaux. Il y a aussi une notion de service public pour les plus fragilisés afin qu’ils ne soient pas exclus de la société. Le médiateur numérique doit ainsi être ancré dans son territoire et connaître son public.
L’importance de la dimension humaine
Avec une vision large du territoire, la stratégie de médiation numérique ne doit pas s’arrêter à une seule commune. Le numérique est transversal, il ne doit pas s’arrêter non plus à un seul type de public. Il est nécessaire de se donner du temps et avancer par essai/erreur en s’appuyant sur des acteurs associatifs, bien souvent plus à même de prendre en considération la dimension humaine.
Si l’avantage des conseillers numérique réside dans la prise de conscience des besoins par la collectivité, il faut veiller à ne pas institutionnaliser la fonction afin de ne pas perdre la dimension de médiation au profit du conseil. Il est donc nécessaire que médiateurs et conseillers travaillent en complémentarité. Il est alors important d’effectuer un maillage du territoire afin que les conseillers numériques ne se retrouvent pas seuls et puissent être épaulés.
La médiation numérique selon Eric durand
Eric Durand médiateur numérique à La Quincaillerie et qui a coordonné le déploiement du Pass numérique, autre mesure phare du gouvernement, dans le département de la Creuse.
Le numérique est multiple et varié, il touche différents types de publics, sur différents types d’usages, par rapport à différents types d’outils, différents types de projets, et différents types de finalités. Dans ce contexte, la médiation numérique sert à faire le lien entre l’humain et le numérique, de mettre en confiance afin de donner du pouvoir d’agir aux bénéficiaires..
L’importance du bouche à oreille
Le pass numérique est comme un ticket restaurant. C’est un moyen de paiement pour un repas que je vais prendre dans un restaurant. Ce n’est pas le ticket restaurant qui va faire en sorte que je mange bien, à une bonne table, avec de bons amis dans un espace convivial. C’est la même chose pour le Pass numérique, il faut des lieux d’accueil bien organisés dans des temps définis. Sans négliger les autres moyens de communication, pour Eric, c’est le bouche à oreille qui fait que les Pass numériques vont se déployer sur un territoire donné.
Concernant les conseillers numériques, il s’agit d’une réelle prise en considération des enjeux de la dématérialisation. Cependant, il ne faut pas négliger qu’il s’agit d’une expérimentation qui n’aura de sens que si elle débouche un projet pérenne et partagé par tous les acteurs de la médiation numériqu.
La médiation numérique selon Audric Gueidan
udric Gueidan, libriste et auteur du livre “Construisez et programmez votre console de jeux open source”.
De la même manière qu’il y a de la médiation entre deux humains, parce que, peut-être ils ne se comprennent pas ou qu’ils sont en opposition, le médiateur numérique se place entre l’homme et la machine, parce que c’est compliqué d’appréhender les outils, les ordinateurs, les nouvelles technologies… Il y a aussi un côté traducteur et un côté accompagnant parce que cela peut faire peur à un certain nombre de personnes. En médiation numérique, il faut présenter les outils mais aussi les enjeux. La question du logiciel libre en fait partie.
L’importance du logiciel libre
Un logiciel pour être défini comme libre doit respecter 4 libertés : n’importe qui peut lancer le programme, n’importe qui doit avoir accès au code source, n’importe qui doit pourvoir distribuer le logiciel, n’importe qui doit pouvoir modifier le code informatique et distribuer sa version modifiée. Lorsqu’on s’intéresse à la protection des données, se tourner vers les logiciels libres permet de s’appuyer sur une communauté qui veille à la dimension éthique.
Pour un territoire, cela peut avoir un intérêt financier et un intérêt stratégique, étant donné que les outils numériques ne sont pas entre les mains de quelques entreprises en situation de monopole.
Concernant les conseillers numériques, cette force de frappe est bienvenue car il n’y a pas assez de médiateurs. Cependant ils seront essentiellement formés à l’e-administration et ne disposeront ni des compétences ni de l’expérience des médiateurs existants, notamment pour ce qui concerne les enjeux sociétaux et environnementaux.
La médiation numérique selon Philippe Denis
Philippe Denis, médiateur numérique en médiathèque et président de la l’association CAMP’TIC.
La médiation numérique ce n’est pas “faire à la place de”. C’est donner des outils de compréhension et rendre les personnes autonomes. Il y a des gens qui n’y arrivent pas. On peut alors les aider ou faire des choses à leur place, mais le travail en médiathèque c’est davantage faire de l’éducation populaire numérique. Cela va au-delà d’aider factuellement quelqu’un à remplir un formulaire ou mettre en page un CV. Il y a certes du factuel, mais il y a aussi la compréhension d’une société numérique de plus en plus complexe. Le médiateur est celui qui fait avec le public, cherche avec le public et aussi apprend avec le public, parce qu’il est impossible de tout savoir.
L’importance de l’éducation aux médias
Il faut donner les moyens d’éduquer les plus jeunes comme les plus anciens, mais aussi les élus, aux médias sociaux et à l’information. Par exemple, le documentaire Holp-up est une catastrophe. Dedans, il y a certes des choses vraies mais surtout des choses fausses, c’est très mauvais au niveau éthique. Il faut davantage s’intéresser à l’éducation à l’image et aux médias.
Pour les futurs conseillers numériques, c’est une opportunité de se confronter à ce métier passionnant. Cependant, la durée de contrat de deux ans les place dans une situation précaire. De plus, la mission de conseiller semble davantage liée à l’inclusion numérique et à l’e-administration. Sur une semaine de 35 heures, il faudrait qu’ils puissent proposer autre chose que de l’aide au premiers clics ou la première tablette…
La médiation numérique selon Caroline Galumbo
Caroline Galumbo, médiatrice numérique à la cyber-base de Bron.
Un médiateur est un acteur facilitateur transversal de l’autonomie des publics dans un écosystème numérique. Les médiateurs numériques permettent aux citoyens d’être accompagnés dans l’autonomie et l’appropriation de compétences à mettre en œuvre peu importe les situations.
L’importance de la transversalité
Le numérique n’est pas un silo parmi d’autres, c’est une question transversale qui touche tous les sujets et toutes les directions de service d’une ville. Il est important qu’une ville se dote d’une politique publique numérique afin d’aboutir à une cohérence entre les acteurs. Il y a une nécessaire prise de conscience que le numérique inclusif ne s’arrête pas à dématérialisation des démarches administratives et à l’accès aux droits, mais qu’il touche tous les champs de la vie d’un individu, comme l’accompagnement éducatif des enfants, les loisirs, la vie sociale et professionnelle, etc.
Plus la société évolue, plus on a besoin de personnes pour accompagner. Accompagner ne veut pas simplement faire monter en compétences, c’est comprendre que la littératie numérique se joue dans toutes les phases de la vie d’un individu, ce qui demande des compétences techniques mais aussi des compétences psychosociales. Pour les conseillers numériques, la difficulté est de former des personnes capables de répondre à des besoins divers et variés, et capables d’adapter leur posture professionnelle selon les structures qui vont les embaucher.