Site icon BornyBuzz

M. Woods, cinéaste expérimental anti-Trump [POSE B 03]

POSE B #3 | Portrait vidéo du cinéaste expérimental M. Woods. © Photo Fabien Rennet, graphisme Aurélien Zann / Bornybuzz

POSE B #3 | Portrait vidéo du cinéaste expérimental M. Woods. © Photo Fabien Rennet, graphisme Aurélien Zann / Bornybuzz

POSE B | Le vidéaste indépendant, d’avant-garde et artiste pluridisciplinaire M. Woods est l’invité de ce troisième épisode. Du 11 au 15 octobre 2023 se déroule la 25e édition du Festival des Cinémas Différents et Expérimentaux de Paris. A cette occasion, nous rencontrons le cinéaste expérimental M. Woods, dont le dernier film, Melencolia 1: The End of the Alphabet, y est présenté en compétition le 11 octobre. Dans les bureaux du cinéma Le Grand Action, nous abordons avec lui son parcours, ses influences, son engagement politique et sa vision de la société américaine.

Entretien, images et montage : Fabien RENNET | Bornybuzz Média – octobre 2023

Présentation du cinéaste expérimental M. Woods

BORNYBUZZ : Pourriez-vous, dans un premier temps, vous présenter très brièvement ?

M. WOODS : Je m’appelle M. Woods. J’ai commencé mon travail en 2004 comme étudiant, mais je ne le diffuse que depuis 2010-2011 sous le nom de M et à travers le studio Dissociative Productions.

Je suis un vidéaste indépendant, d’avant-garde…et artiste pluridisciplinaire, et mon travail se concentre essentiellement sur la modélisation du comportement humain en terme de vacuité, et la manière dont la vacuité se répand dans la politique mais aussi dans la société.

Je suis le fils d’une immigrée costaricaine et mon grand-père vient d’Équateur. Par exemple au Costa Rica, je suis un Blanc et il n’y a pas de débat possible. Mon travail examine donc aussi le racisme envers les Latinos et les discriminations qu’ils subissent. Mon travail a toujours comme origine une profonde crise identitaire en tant que « White Passing Person » qui est témoin des traumatismes, du racisme envers ma famille et de la peur qui en découle.

Influences cinématographiques

BORNYBUZZ : Quelles sont vos principales influences ?

M. WOODS : Plus jeune j’ai vu Charlie et la chocolaterie (Mel Stuart, 1971). Et même si le matériau de départ est ridicule et raciste, la séquence de Wonkatania, où le tunnel sert de transition, c’est un espace immersif et c’est un cauchemar… Ils font une balade en bateau et des images bizarres et dérangeantes apparaissent. Petit, je trouvais cette juxtaposition vraiment intéressante.

Plus tard je me suis intéressé aux cinéastes qui utilisaient la narration, soit pour la subvertir politiquement, soit pour l’établir avant de la déconstruire. Les œuvres les plus accessibles pour moi à l’époque étaient celles de Maya Deren, Spike Lee, David Lynch, Stanley Kubrick
Ce qui a changé ma vie a été que… Très jeune j’ai été un gros consommateur de drogues, et je suis arrivé à un point où j’ai dû trouver un moyen de créer une sorte de base pour toutes ces visions que j’expérimentais.

Lire aussi : POSE B #01 Tristan Galek, vidéaste chez SKD’PRODUCTION

Ghettos

BORNYBUZZ : Pourriez-vous nous parler de votre film Commodity Trading : Dies Irae (2017) ?

M. WOODS : Commodity Trading : Dies Irae a été tourné en grande partie dans The Jungles. The Jungles est un quartier de Los Angeles dirigé principalement par le gang des Bloods. Historiquement les Bloods étaient une organisation communautaire, tout comme les Crips, et ils ont pu exister parce qu’il y avait un manque d’infrastructures. Ils ont commencé comme une milice, avant d’être impliqués dans des affaires de drogues. C’est de là que viennent la violence et tous les autres stéréotypes sur les gangs. Le fait d’avoir toujours connu des gens dans les gangs, ça ne changeait pas grand chose pour moi. J’ai appris à naviguer dans ces endroits…du moment qu’on se porte garant pour moi.

Dans le film, on peut voir le résultat d’un attentat à la bombe sur une voiture. Ça s’est passé à 150m de ma chambre, là où dormait ma fille. Et quand quelqu’un s’est fait tuer, c’était à 2 rues de chez moi. C’est donc une communauté très soudée, mais confrontée à la violence quotidiennement.

Le cinéaste expérimental M. Woods au cinéma Grand Action à Paris | Photo BORNYBUZZ / Fabien RENNET

11 septembre 2001

BORNYBUZZ : Ce film fait suite à l’élection de Donald Trump à la Présidence américaine en 2016. Cet événement a-t-il été un tournant pour vous ?

M. WOODS : Le 11 septembre a été un tournant très important dans ma vie. On commençait tout juste à comprendre la nécessité quotidienne d’internet. À l’époque la télé par câble comprenait 50, 60 chaînes. Maintenant c’est des milliers. Absolument toutes couvraient le 11 septembre en continu, pendant des jours et des jours et des jours. Tout ce qu’on voyait en allumant la télé c’était les immeubles qui s’effondraient. J’avais 12 ans. Mais j’ai vu dans les adultes autour de moi que quelque chose s’est brisé dans leur tête : ils ne savaient pas quoi faire. Alors ils se sont assis et ont regardé, et ils nous ont laissé faire de même. C’est un peu l’idée de Baudrillard : l’image recyclée commence à avoir son propre message et perd toute la force qu’elle pouvait avoir.

Avance rapide : on a maintenant une abondance de morts qui est montrée aisément. Donc je pense qu’il y a eu plusieurs niveaux dans cette désensibilisation qui est apparue le 11 septembre 2001 : c’est ce qui a fait jaillir cette vacuité. Les gens ont commencé à être patriotiques en n’y connaissant que dalle. Ils voulaient juste trouver un responsable à leur douleur et à leur insécurité. Ils voulaient punir l’excès de progressisme des années 90….qu’ils ont associé principalement aux communautés Noires et Queer.

Lire aussi : POSE B #02 Garoue-Garou expose l’art urbain sur les murs de Borny

L’Amérique post-Donald Trump

BORNYBUZZ : Et pour en revenir à l’élection de Trump ?

M. WOODS : Le culte de Donald Trump repose exclusivement sur le fait qu’il soit raciste. Mais Trump est un clown et il ne serait jamais mis dans une position de pouvoir pour avoir réellement du pouvoir. Il est au pouvoir grâce aux suprémacistes blancs et aussi grâce à d’autres acteurs étrangers qui s’immiscent dans la politique américaine et possèdent une bonne partie de notre économie. Et qui possédaient une bonne partie de l’ex Trump Organization, comme les Saoudiens qui ont investi près de 500 millions de dollars dans le building du gendre de Trump, Jared Kushner. Pour moi Trump est un furoncle, ce qui émerge au sommet d’une infection.

Et au centre de mon travail…et au centre de tout, on trouve le capitalisme. Au début du capitalisme il y a la traite négrière. De là, ils ont été plus loin et ont dévalué l’être humain, au point où on s’échangeait littéralement des « moitiés d’humains ». Donc si on assemble tout ça, on a, parfaitement mis en place, une société raciste, une construction néo-libérale qui dissimule son racisme qu’elle utilise pour contrôler des colonies, des colonies pénitentiaires et autres. Et puis cette sorte d’état hallucinatoire alimenté par le prisme des médias.

Oh, une dernière chose sur Trump, promis ! Adolescent, j’ai lu L’autobiographie de Malcolm X (1965) J’étais très jeune et ça a changé ma vie. Ça m’a poussé à m’impliquer dans la militance, la politique, l’immigration, le droit des Palestiniens, etc. J’avais 14/15 ans, pour ça j’ai parfois séché les cours… Ne faites pas ça !

L’horizon des événements

BORNYBUZZ : Une dernière chose à ajouter sur le sujet?

M. WOODS : Mais ce que j’ai un peu toujours su, et ce que ma grand-mère me disait, j’en parle dans mes films, c’est qu’on ne peut faire confiance à certaines personnes. Et qu’on ne peut faire confiance à la police américaine, qu’il faut être constamment sur ses gardes. J’en ai pris conscience en vieillissant, mais les Blancs…moi y compris, qui passe pour un Blanc, n’avons pas cette préoccupation. C’est pourquoi une grande partie de la population blanche assume l’entière culpabilité du racisme, parce qu’ils n’admettent pas son existence, c’est une insulte envers eux et envers leur organisation du pouvoir et ils le personnifient, il votent en fonction ! Même s’ils refusent de le dire, ils votent en fonction de cela.

Je pense aussi que, dernière chose sur le sujet, le pillage est ce qui fera complètement tomber l’économie. Le pillage est une activité qui, et particulièrement dans les médias…a le plus de répercussions. Parce qu’ils n’aiment pas que l’on dévalue complètement une chose et qu’on la prenne plutôt que de l’acheter. Merde, si quelqu’un veut piquer une télé dans un magasin perdu au milieu de nulle part, qu’il la prenne ! On a tiré sur des pillards
pendant l’ouragan Katrina, ça explique beaucoup. Il y avait toute cette nourriture qui allait pourrir
et qui aurait pu être donnée. Mais les États-Unis ont préféré envoyer la police, non pas pour secourir les Noirs
mais pour les tuer.

Alors pour moi je vois ça comme…un juste retour des choses. Ce qui a surgit aux États-Unis n’est pas forcément
de la violence politique légitime. Ce qui a surgit, c’est un mélange de pauvreté, de nécessité, de spectacle et de nihilisme. Parfois je plaisante en disant que je suis un dealer médiatique ou un terroriste médiatique… Les deux sont vrais ! Je considère ça comme un titre honorifique.

Entretien et traduction par Fabien RENNET.

Lire aussi : Concours ARTE Radio 2023 – Un été à la cité

Quitter la version mobile